Piana, petit village occidental côtier de l’ile méditerranéenne nommée Kallisté la magnifique par les navigateurs de l’Odyssée, recevait, en cet année de grâce MMIX, pour son onzième jour de floréal, tout le gotha rugbystique Villiérain accompagné en cela par quelques non-initiés auxquels il sera volontiers pardonné qu’ils aient choisis une autre culture.
L’hôte de ce raout, était l’ami Jean-Pierre OTTAVI plus connu sous le doux sobriquet de « Ricky ». Pour son sexagénaire jubilé autant que pour son nouvel attachement au personnel en voie de repli professionnel, nous étions conviés à venir partager son dîner d’anniversaire. Dîner servi de fort noble manière à la table de cet établissement du meilleur goût qui soit : « L’hôtel-restaurant CAPO ROSSO Camilli et Ollivier », route de Porto pour ceux qui sont intéressés.
L’apéritif, car apéritif il y eut, fut servi sur la terrasse panoramique surplombant le golfe de Porto immergé dans le halo vaporeux d’un coucher de soleil, éblouissant de rubicondité, de vermeil, de pourpres et d’incarnats, dont le front tutoyait la blancheur immaculée des neiges printanières de l'éblouissant : Paglia d'Orbu. C’était le début d’une grande aventure qui prenait vie après les retrouvailles, les accolades et les embrassades. Tant et tant étaient venus de loin via la capitale et autres mégapoles, là où le soleil est artificiel et où les odeurs de maquis manquent étrangement de sainteté.
Ils sont venus brûler leurs yeux aux feux étincelants des calanche dont la couleur s'enrichit de la tache originelle du sang de ceux qui ont payé le lourd tribut de la liberté de vivre sur leur terre.
Quand l’astre majeur ne laissa plus poindre que ses traits de feux vespéraux, nous fûmes conduits vers l’autel de la communion.
La Cène, installée dans les salons du rez-de-chaussée, nous accueillit dans un dédale de nappes et de serviettes tissées à l’ancienne. Les reflets cristallins de verres au ventre rebondi nous laissaient présager de quelques crus de haute estime dont les robes de différentes couleurs ne demandaient qu’à être retroussées. Ô doux nectars de nos côteaux escarpés, accrochés aux flancs arides et brûlants de nos collines. Pampres cueillis à la serpe par des mains que le temps et les travaux besogneux ont usées jusqu’au parchemin. Contrées de la faucille et de la pioche où la pierre dispute au cep noueux le peu de terre que les hommes sont allés chercher jusque dans les entrailles de ces lieux incultes. Pressoirs faits de bois fruitiers taillés à l’herminette et que chaque tour de vis fait se plaindre d’une déchirure. Tonneaux dont les douelles de chêne ont été rabotées à la varlope d’olivier et doivent leur arcure à l’eau des torrents.
Quand le repas débuta nous fûmes pris dans un tourbillon de mets extravagants. Le supplice de Tantale n’en eut été qu’un codicille de comédie. Dîner de la mer ou dîner de la terre. Au choix des convives qui n’en croyaient ni leurs yeux ni leur sens olfactif.
Tel un opéra séria, l’ouverture fut andante qui vit les hanaps s’emplir d’opaline ou de rubis, puis allegro ma non troppo en un envol de mises en bouches.
L’on sentait tout de suite, les parfums iodés des langoustines entremêlés de senteur de foie gras aux châtaignes.
Divines naïades écartelées à l’épigastre abandonné aux arômes épicés des îles, et à l’émanation subtile de fleur de sel et de basilic.
Gardiennes du Capitole gavées des meilleurs maïs, embaumés d’effluves montagnards héritage de nos antiques châtaigneraies décimées par les feux successifs mais qui, tel le Phénix, renaissaient sous le greffoir de nos vieux brgers.
Seuls, d’archaïques béotiens dont la langue aurait subi la torture de la dague rougie eurent pu trouver à redire. Pauvres mécréants devant l’immuable office apostolique.
Puis dans un envol de cuivres et de bois, les cordes étant délaissées à l’arrière ban, devant des invités médusés, apparurent sur des plateaux d’argent, enrobés sous leur croute de sel , les princes de la méditerranée : Dentex dentex, plus communément appelés, Denté, Dentie, voire, Dentice. Oserai-je pousser le front jusqu’à vous donner la recette de se mets délicieux ? « Dans un plat aux bords relevés, faites un lit de gros sel. Sur ce lit vous déposerez votre Denté entier non écaillé. En son ventre vidé vous aurez pris la peine d’installez un bouquet d’herbes aromatiques du maquis (thym, laure, sauge bleue, serpolets, etc.). Vous recouvrirez complètement du même gros sel. Faites cuire au four, à raison de vingt minutes par livre. Quand votre hôte est cuit, retirez-le du four, brisez la gangue de sel, ôtez la peau et dégustez arrosé d’un filet d’huile d’olive jeune et d’une pincée de fleur de sel. »
Ne donnez la recette à personne ! C'est un secret.
Les partisans de la terre ne furent pas moins choyés. Ecoutez donc, braves gens qui n’étiez pas de ce fastueux banquet!
La partition orchestrale était la même que pour les amis du large. La mélodie identique. Mais le fruit de la mer était remplacé par son pendant terrien : l’agneau de lait. Agneau élevé sous le pis maternel, repu et gorgé de lait mais qui a gambadé et qui connaît par cœur chaque recoin de nos collines. Et qui, déjà, s’est gavé de quelques pansées d’herbe et d’arbustes fleurons de notre maquis : arbousier, chêne vert, myrte, bruyère et laurier qui donnent à sa chair cette saveur enviée jusques aux prés-salés.
Le plat de fromages issus en droite lignée du terroir corse, escorté en cela par un succulent confit de figues blanches, fut la pénultième touche à ce tableau gastronomique d’une pure merveille.
Le dessert, mélange de parfums glacés et de sorbets inestimables, vint couronner le tout comme le vernissage accomplit à la postérité une toile de maître.
Cette soirée passée sous les auspices originels de notre ami Jean-Pierre, connut son content de musique et de chants endémiques, grâce à la dextérité et à l’organe de trois jeunes musiciens du cru qui bercèrent nos esprits et enchantèrent nos cœurs.
Puis vint le moment de se quitter. Tous, ceux qui savaient ou ne savaient pas, nous sommes rapprochés les uns des autres comme en un seul et même chœur et avons entamé le « Dio vi salvi Régina » ce chant de gloire, cet hymne d’amour qui réunit l’âme et l’esprit des hommes de ce pays pour remercier notre hôte de son inénarrable accueil et son inestimable amitié.
En vérité, peu de gens auront vécu une si belle aventure. Certains, arrivés la veille, s’étaient déjà retrouvés pour affronter l’événement, en prenant un peu d’avance sur l’amitié et la convivialité qui les liaient depuis quelques décennies, soit à travers le sport, soit à travers la vie professionnelle, soit à travers la vie simplement, mais toujours avec le même enthousiasme, le même amour des retrouvailles et le même plaisir d’encore une fois savoir que tous étaient là, présents, fidèles et attentionnés.
Merci, Jean-Pierre, d’avoir permis, une fois encore, ce tour de magie que seuls les êtres hors du commun peuvent réaliser.
Nous l’avions vécu avec Daniel, Jean et quelques autres. Nous espérons le revivre, intensément. Mais qui sera le prochain ? Il y en aura-t-il seulement un autre ? Je crois que tous l’espèrent. A celui là, d’avance, je dédie mes plus profonds sentiments d’amitié et d’affection.